Eric Shorjian
« Ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier... ». Le dicton populaire ne s’est jamais autant appliqué à la stratégie de croissance du Groupe Seb. Se développant sur deux activités distinctes mais complémentaires, les articles culinaires non électriques et le petit électroménager, l’industriel lyonnais à initialement réduit sa dépendance au marché français en développant son internationalisation. Puis, il a été l’un des premiers a s’implanter solidement en Chine, qui a longtemps était le principal moteur de sa croissance. Alors que ce pays génère désormais un quart de ses ventes, le groupe développe maintenant rapidement ses activités dans des marchés professionnels, moins soumis à la pression concurrentielle de la distribution, générant des revenus récurrents et de meilleures marges. Souhaitant être « partout pour avoir accès à l’ensemble des consommateurs », Groupe Seb continue aussi a développer sa distribution en propre.
En 2019, le groupe Seb a connu une nouvelle année de croissance réalisant un chiffre d’affaires de 7, 354 milliards d’euros (+ 8%). Les activités Grand Public ont représenté 6,555 milliards d’euros (+ 6,1%) et le Professionnel 799 millions d’euros (+ 25%). Au coeur de la stratégie de croissance du groupe d’Ecully, le développement des activités professionnelles qui lui assurent d’excellentes marges s’est poursuivi par une bonne croissance et par de nouvelles acquisitions. Le Groupe Seb a notamment racheté Wilbur Curtis, N°2 américain des machines à café filtre professionnelles (80 M€ de CA) et la petite société bretonne Krampouz (20 M€ de CA) avec ses crépières, gaufriers, planchas, grills qui viennent compléter l’offre professionnelle et la gamme grand public premium du groupe.
La croissance a été bonne dans toutes les zones géographiques du monde. La zone Asie a progressé de 9,4%, la zone EMEA de 3,3% et les Amériques de 2,1%. A l’intérieur de la zone EMEA la situation est resté contrastée en Europe occidentale (+ 0,3%) alors que les autres pays EMEA ont bien fonctionné (+12,4%).
En France, si l’activité a été bonne en articles culinaires, elle a été plus difficile en PEM. Au total, l’année a été stable pour le groupe dans l’Hexagone. L’Allemagne, quand à elle, a été marquée par un rééquilibrage des conditions commerciales avec la distribution. Les ventes en Russie et aux Etats-Unis, où les marchés du « cookware » et du petit électroménager ont été en retrait, et où les chaines de magasins telles que Sears ou Macy’s, challengées par Amazon, ferment des magasins, le Groupe Seb annonce cependant avoir gagné des parts de marché. Bons résultats également au Mexique (croissance à deux chiffres en bientôt 100 millions de CA) et globalement en Amérique du Sud où les deux usines de cookware et de PEM Colombie « marchent très bien ».
« Toutes les catégories de produits ont connu des hausses mais des transferts s’opèrent à l’intérieur des catégories, indique Stanislas de Gramont, Directeur Général Délégué du Groupe Seb. Ainsi dans le soin du linge, les ventes de fers déclinent au profit des ventes de défroisseurs qui ont doublé. Dans le soin des sols, ce sont les ventes de traineaux qui baissent alors que celles des aspirateurs « versatiles » augmentent ». En 2019, 40% des ventes du groupe ont été réalisées par l’Electrique Culinaire, 30% par le Cookware, 20% par le Soin de la Maison et de la Personne et 10% par le Professionnel.
D’ici 12 à 18 mois, chaque marque du groupe aura son site de e-commerce en Europe
Misant sur une approche multicanale de sa distribution, Groupe Seb continue à développer ses outils de vente en propre. Une complémentarité des réseaux lui permettant d’avoir accès à tous les consommateurs et de s’adapter aux spécificités locales.
Outre la dynamique produits, le groupe compte notamment sur l’activation commerciale et marketing « off line » et « on line » ainsi que sur le déploiement du Retail Groupe. En Pologne, par exemple, ce canal du commerce en propre pèse 20% des ventes du groupe dans le pays. Idem en Turquie ou encore dans les Balkans.
Et en 2020, ce développement va continuer, tant sur le plan «off-line » que « on-line ». « Le CRM est une chance incroyable pour reprendre le lien avec le consommateur » explique Thierry de la Tour d’Artaise. Ouvrir nos propres magasins nous permet de mieux servir nos clients ». En France, où le Groupe Seb dispose d’une chaine de magasins de déstockage à l’enseigne « Home & Cook » pas question pour autant d’ouvrir des flagships dans le centre de la capitale… En revanche, la présence digitale va se développer. Entre 2016 et 2019, la part du digital dans les investissements médias du Groupe Seb a doublé, atteignant aujourd’hui 50% du total. Dans le même temps, le trafic sur les sites internet du groupe a progressé de 79%.
« Notre politique sera d’être dans les standards de prix du marché »
Dans certains pays du monde, le consommateur final peux d’ores et déjà commander sur rowenta.fr l’ensemble des produits de la gamme de la marque. A partir du troisième trimestre 2020, cela va s’étendre sur les quatre principaux pays de l’Europe de l’Ouest. A savoir, France, Allemagne, Espagne et Italie. Dans les 12 à 18 prochains mois, seront également déployés les sites de Moulinex et Tefal sur le même principe. « Nous ne serons pas en concurrence frontale avec nos distributeurs traditionnels tels que Darty, Amazon, Cdiscount ou Casino, indique Stanislas de Gramont. Notre politique sera d’être dans les standards de prix du marché et d’apporter une valeur ajoutée à travers des services annexes, par l’accès à des communautés dans le culinaire notamment. Un consommateur qui achète un Cookeo n’achète pas seulement un produit mais un écosystème ».
Développement des magasins en propre ?
« Quand un consommateur se rend dans un magasin Home&Cook ou un magasin WMF, les consommateurs ont une expérience de Retail assez différente de ce que peuvent proposer nos clients traditionnels, précise Stanislas de Gramont. Si vous allez dans un magasin Home&Cook tel que celui de Villefontaine près de Lyon, vous y trouverez des consommateurs qui passent du temps et ont du plaisir à faire leurs courses. Dans les pays où nous ouvrons de nouveaux magasins Home&Cook, comme c’est le cas en ce moment en Pologne, nous ne constatons pas de baisse des ventes dans les magasins limitrophes, et parfois, cette visibilité supplémentaire de nos marques booste leur activité ».
Au total, le « Retail Groupe » du Groupe Seb, c’est aujourd’hui 1 345 magasins (dont la moitié en Chine avec 730 Supor Lifestores). Au Japon, où le groupe dispose de 39 magasins en propre, 6 nouvelles ouvertures sont prévues en 2020.
Quid de l’impact du coronavirus sur les activités en Chine et ailleurs ?
L’an dernier, les ventes du groupe en Chine ont progressé de 12% s’élevant à 1,762 milliards d’euros. Et cela tant au niveau des articles culinaires (woks, casseroles, mugs isothermes…) que du PEM (cuisson électrique, défroisseurs, aspirateurs..) et des équipements fixes de cuisine (plaques et hottes) vendu sous la marque Supor. La Chine pèse aujourd’hui un quart des ventes de Groupe Seb.
Le groupe français dispose actuellement de 42 sites industriels dans le monde dont 7 usines en Chine où le groupe emploie près de 12 000 salariés. Au 27 février, 6 usines avaient réouvert, selon le groupe. Les personnels y sont revenus par tranches. La reprise est progressive. Le groupe estime un retour à pleine capacité de production à fin mars.
C’est surtout le site industriel de Wuhan qui a été touché par l’épidémie.Il ne produit pas pour l’export et assure 50% de la production de « coockware » du groupe Seb à destination du marché chinois. A l’usine de Wuhan, les autorités chinoises n’envisagent pas la levée de la quarantaine avant la mi-mars. Dans ces circonstances, le groupe mise sur la flexibilité de son outil industriel. L’épidémie engendre une réorganisation de la logistique. Supor transfère donc les productions les plus urgentes de Wuhan vers d’autres sites comme celui de Yuhuan.
Il y a actuellement dans cette usine un mois de stock de produits fabriqués sur place. Compte-tenu de la situation, le groupe a décidé de transférer les production de cookware qui ne peuvent pas être réalisée dans cette usine (elle tourne actuellement à 40% de sa capacité) vers une de ses autres usines basée au Vietnam. Celle-ci approvisionne le marché chinois mais aussi le marché américain.
Outre la production dans ses propres usines, le groupe Seb a également recours à de la sous-traitance. 25% du CA du groupe est réalisé avec des produits sourcés. Pour l’instant, le groupe n’a pas constaté de pénurie de côté là, indiquant que les usines de ses sous-traitants également avaient redémarré. « Nos stocks sont à ce jour suffisants pour faire face aux besoins, indique le groupe ». A fin février, la perte de chiffres d’affaires est de 210 millions d’euros. Les dirigeants du groupe estiment qu’elle sera de 250 millions d’euros sur le premier trimestre 2020.
En plus particulièrement en France ?
Stanislas de Gramont est très confiant dans la capacité à livrer le marché français. « Aujourd’hui, nous avons des couvertures de stocks dans nos entrepôts qui sont très satisfaisantes. Je ne dis pas que nous sommes couverts à 100% sur tous les produits pour les six mois qui viennent, mais lorsque l’on regarde l’incidence potentielle, elle est minime. Nous livrons nos clients sans avoir d’à coup opportunistes (plus ou moins de promotions) car ce n’est pas le genre de la maison ».
Le coronavirus va-t-il modifier la stratégie industrielle du Groupe Seb ?
25% du volume de production du Groupe Seb est aujourd'hui effectué en dehors de la Chine. En Europe le groupe dispose de 11 sites en France, 8 en Allemagne et 1 en Italie. « Nous n’allons pas rapatrier en France des production de produits basiques car cela n’aurait pas de sens, explique Thierry de la Tour d’Artaise. Nous fabriquons en Europe nos produits à forte valeur ajoutée, comme les générateurs de vapeur, ou les défroisser vapeur à Pont-Evêque, nos machines à café full-automatique et nos robots culinaires à Mayenne. Et nous avons bien l’intention de les garder. La flexibilité industrielle est un des avantages majeurs du groupe Seb par rapport à des groupes qui ont décidé de délocaliser la totalité de leur production en Chine. Sans parler de quasiment toute l’industrie américaine, qui a, non seulement fait cela, mais qui, en plus n’a plus d’usines et dépend à 100% de sous-traitants. Depuis quatre ans, la part du sourcing dans la production du Groupe Seb baisse chaque année. Nous avons, par exemple, regroupé toutes nos productions de bouilloires, grille-pains, cafetières réalisées chez de petits sous-traitants chinois dans nos usines Supor. Aujourd’hui, nous sommes très contents de l’avoir fait ».
Innovation, communication, diversification : les perspectives restent solides
En 2019, les « moyens moteurs » que sont les dépenses en innovation (267 millions d’euros) et de publicité et marketing (461 millions d’euros) ont continué a augmenter atteignant 728 millions d’euros (+ 6,5%), soit quasiment 10% du CA de l’entreprise. Le résultat opérationnel d’activité (ROPA) s’est élevé à 740 millions d’euros (+ 6,5%). Le besoin en fonds de roulement (BFR) est passé de 25% en 2011 à 16,5% en 2019. La croissance du groupe Seb dans les autres pays du monde lui permet également de diversifier ses activités en s’appuyant sur les marques locales de son portefeuille. « Tous les pays grossissent, souligne Thierry de la Tour d’Artaise. En 2016, le 20ème pays réalisait 35 millions d’euros de vente, aujourd’hui il est a 60 millions d’euros. Beaucoup de pays passent désormais la barre des 100 millions d’euros ».
Poursuite des investissement d’avenir au travers de Seb Alliance
Le groupe Seb va également continuer à investir dans les technologies d’avenir au travers de sa filiale Seb Alliance, son levier d’accélération de la stratégie d’innovation. Crée en 2011, cette société permet au groupe industriel français d’avoir une veille active sur des technologies disruptives capables de générer les nouveaux business de demain. C’est le cas par exemple, avec la société Robart, qui fournit les systèmes de navigation des aspirateurs robots Rowenta, Click & Grow pour le « home farming » et les potagers à domicile, ou encore avec Feeligreen dans le domaine des nouveaux appareils de beauté. 50 millions d’euros ont déjà été investis dans Seb Alliance au travers de 15 investissements directs minoritaires, deux majoritaires et avec 6 fonds partenaires. Une stratégie qui va se poursuivre puisque « nous avons des engagements jusqu’à 80 millions d’euros et que nous irons jusqu’à 100 millions d’investissement », indique Thierry de la Tour d’Artaise.
Groupe Seb est-il intéressé par le rachat du Petit Electroménager de Philips ?
Alors que le groupe Royal Philips a annoncé la mise en vente de ses activités Petit Electroménager, cela peut-il être une opération de croissance externe pour le groupe Seb ? « Précisons d’abord que le périmètre n’inclue ni le rasage, ni le dentaire, fait remarquer Thierry de la Tour d’Artaise. Mais bien sûr que nous regardons ce dossier, nous regardons tout, indique le PDG », sans en dire plus pour l’instant…
« A chaque fois qu’une crise survient, et nous en avons traversée par le passé, notre secteur résiste bien »
Loin de céder au mouvement de panique engendré par l’épidémie, le PDG du Groupe Seb reste à la fois serein et lucide. Certes l’environnement général économique est compliqué et volatil, avec toujours de fortes tensions géopolitiques, commerciales et sociales. Certes les mutations persistantes de la distribution et du digital engendrent un contexte promotionnel et concurrentiel extrêmement fort auquel le groupe doit s’adapter mais il convient de raison garder. « N’oublions pas que nous sommes sur un secteur d'activité porteur et résilient, souligne Thierry de la Tour d’Artaise. Notre industrie est en croissance chaque année depuis plusieurs décennies au niveau mondial. A chaque fois qu’une crise survient, et nous en avons traversée par le passé, notre secteur résiste bien.Dans les pays matures, les marchés de renouvellement sont marqués par une montée en gamme. Et dans les pays émergents, le développement de la classe moyenne recèle encore un fort potentiel de croissance. En 2010, un milliard d’habitants faisaient partie des classes moyennes dans les pays matures, et un milliard d’habitants dans les pays émergents. En 2020, ils sont toujours un milliard dans les pays matures mais deux milliards dans les pays émergents. En 2030, ce sera encore un milliard dans les pays matures mais quatre milliards dans les pays émergents… »