Les formations prioritaires devraient être davantage valorisées et mieux prises en charge
Successeur de Jean-Pierre Gaubert au poste de Directeur général du Réseau Ducretet, Julien Wypych a une vision très large du monde de la formation. Du haut de ses 45 ans, cet ancien diplômé de l’ESSEC a une expérience de plus de 20 ans dans cet univers, ce qui lui permet d'en pointer les forces mais aussi les dysfonctionnements. Pour Neomag, il dresse un état des lieux de la formation professionnelle et invite à se poser les bonnes questions. Son credo : que les dispositifs de financement et de soutien à l'alternance soient davantage adaptés aux spécificités des différents organismes de formation et des publics à former.
Neomag. Depuis le 15 janvier 2023, suite au départ en retraite de Jean-Pierre Gaubert, vous êtes le nouveau Directeur général du Réseau Ducretet. Pouvez-vous tout d’abord nous présenter votre parcours ?
Julien Wypych. J’ai réalisé la quasi-totalité de ma carrière professionnelle dans le domaine de la formation, après une première expérience auprès d’un opérateur en télécommunications, à l’époque de la libéralisation des télécommunications à la fin des années 90. Le hasard a fait que j’ai ensuite rencontré un Directeur d’organisme de formation à Paris, qui m’a présenté l’univers de la formation que je n’ai plus quitté depuis.
J’ai commencé comme responsable commercial, puis Directeur de la relation avec les entreprises et des relations extérieures, chargé d’encadrer plusieurs services au sein d’organismes de formation sur les parties informatique, commerciale, communication interne et externe, et pédagogique, etc. Avant de rejoindre le Réseau Ducretet, j’étais en charge de la Direction nationale d’une école d’agri-agro Management. J’ai donc eu la chance d’apprendre le métier en gravissant les échelons au fur et à mesure, ce qui m’a permis de découvrir la richesse des métiers dans le domaine de la formation.
Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre le Réseau Ducretet alors que vous étiez auparavant en poste au sein d’une grosse entreprise de formation ?
Au fur et à mesure de mon parcours et de mon expérience professionnelle, j’ai compris qu’il était important d’être en phase avec les jeunes générations, qui n’ont plus rien à voir avec celles d’il y a 10 ou 20 ans. En tant qu’organisme de formation, cela nous oblige à nous remettre en question et à nous réinventer sans cesse. J’ai également pris conscience qu’il y avait de véritables disparités sur le marché de la formation, avec des aides de l’Etat allouées de la même manière aux entreprises, qu’elles embauchent des alternants issus du supérieur, ou bien des jeunes en échec scolaire ou éloignés de l’emploi. Certains organismes pourraient alors viser le profit à tout prix, avec des classes surchargées, des cours hybrides avec des élèves aux quatre coins de la France et une ultra rentabilité comme fil rouge.
Le Réseau Ducretet a toujours fait le choix de privilégier l’accompagnement sur mesure, la proximité avec ses étudiants et une grande qualité des enseignements pour une meilleure insertion professionnelle. L’argent gagné est sans cesse réinvesti dans l’intérêt des apprenants. C’est ce qui m’a séduit chez Ducretet. Nous mettons la pédagogie et l’insertion professionnelle au cœur des dispositifs. A ce titre, nous attendons un peu plus de justice sur les niveaux de prise en charge accordés aux organismes de formation professionnelle comme le nôtre, ou sur le montant des aides proposé aux entreprises.
Quelles sont ces disparités dont vous parlez et quels sont aujourd’hui les niveaux de prise en charge des formations en alternance ?
Il y a plusieurs briques sur ce sujet. D’une part, les aides gouvernementales destinées aux entreprises qui embauchent des alternants. Elles étaient de 8 000 euros auparavant et passent cette année à 6 000 euros. Il serait évidemment dommage que ces aides disparaissent, mais il faudrait se poser la question de leur utilité pour les structures qui embauchent des candidats dans le cadre d’études post Bac+2, qui auraient tout de même embauché ces alternants... Il me semblerait plus juste que les aides soient allouées majoritairement aux entreprises qui embauchent des profils plus éloignés de l’emploi.
D’autre part, les écoles perçoivent une prise en charge pour former les alternants, dont le montant est extrêmement variable. Selon moi, lorsque nous sommes dans le cadre de formations où l’on a la possibilité de travailler sur l’ultra rentabilité en regroupant de très nombreux jeunes face à un formateur, le niveau de prise en charge devrait être plus faible. A contrario, lorsque l’organisme de formation professionnelle se doit de mettre à disposition des plateaux techniques et ne peut en aucun cas recourir à des dispositifs hybrides, les niveaux de prise en charge devraient être revus à la hausse.
Chez Ducretet, mais aussi dans d’autres organismes de formation, nous formons des candidats sur des formations très techniques, qui nécessitent l’utilisation de plateaux spécifiques. On ne peut donc pas mettre 40 ou 50 personnes dans une même classe, mais 14 ou 15 tout au plus. Le niveau de rentabilité de la classe n’est pas du tout le même. De plus, nous devons investir en permanence sur des moyens techniques, afin d’être en capacité de former des jeunes opérationnels en entreprise.
Enfin, les formations prioritaires devraient être davantage valorisées et mieux prises en charge. Il me semble inconcevable de proposer le même niveau de prise en charge quand on réalise du quasi sur-mesure, avec l’investissement nécessaire pour que le jeune soit dans une dynamique qui lui permet d’acquérir les compétences attendues par les entreprises. C’est d’autant plus vrai que chez Ducretet, nous avons de nombreux candidats éloignés de l’emploi, qui ont besoin de retrouver un équilibre et d’avoir à nouveau confiance en une école qui va les accompagner vers la vie active. La pédagogie doit être au cœur des dispositifs. Et quand bien même la notion de rentabilité doit être prise en compte, en aucun cas elle ne doit l’être au détriment de la qualité pédagogique.
Entendez-vous par-là que les jeunes issus du supérieur ne devraient plus avoir accès à l’alternance ?
Absolument pas, l’alternance est et restera une excellente formule pour s’insérer dans la vie active. D’ailleurs, si Emmanuel Macron peut se satisfaire d’avoir moins de personnes qui grossissent les rangs du chômage, c’est justement parce qu’il a mis les moyens pour favoriser le développement de l’alternance. Il n’y a jamais eu autant de contrats d’alternance signés depuis que ces moyens ont été mis en place.
Mais à l’origine, il s’agit d’une formule qui doit d’abord profiter à un public qui est plus en délicatesse, en décrochage avec le système scolaire classique. Nous sommes aujourd’hui dans une large démocratisation de l’alternance et je ne dis surtout pas que ce système ne doit pas profiter aux personnes issues du supérieur. Mais il me semble étonnant que les aides soient allouées de la même manière, qu’il s’agisse d’un candidat qui est éloigné de l’insertion professionnelle, ou d’un candidat en licence ou master qui possède déjà un grand nombre d’aptitudes pour convaincre un employeur et cela même si l’entreprise est moins soutenue financièrement.
Vous parlez des contrats d’apprentissage, mais qu’en est-il des contrats de professionnalisation ? Quels sont les niveaux de prise en charge dans ce cas de figure ?
Là aussi, il y a un énorme problème puisque le niveau de prise en charge est de 9,15 euros de l’heure de formation. Multiplié par le volume d’heures de formation nécessaires afin de valider les parcours, le montant alloué est très faible. Ce montant dérisoire est le même depuis des années et n’a jamais été réévalué. Cela fait perdre de l’argent aux organismes. Malgré tout, une majorité de jeunes restent dans une logique de contrats d’apprentissage et c’est là que France Compétences intervient. En tant qu’organisme de formation, nous pouvons tout à fait demander aux entreprises d’ajouter 2 000 à 3 000 euros, en plus du salaire versé à l’alternant, pour former le candidat dans de bonnes conditions. Si on est face à un candidat issu d’études supérieures, cela ne posera pas problème. Mais dans le cas d’un candidat éloigné de l’emploi, jamais l’entreprise n’acceptera...
Pensez-vous que ces dysfonctionnements puissent mettre en danger les équilibres sur lesquels fonctionnent les organismes de formation tels que Ducretet ?
Je crois que la vraie question à se poser est de savoir à quoi doit véritablement servir l’alternance. Il y a 15 ans de cela, très peu de parcours de formation dans le supérieur étaient faits en alternance. C’est très bien qu’on puisse le faire aujourd’hui et cela ne nuit pas à la possibilité pour les candidats de Ducretet, ou d’ailleurs, de trouver un emploi en alternance.
Mais la question est de savoir s’il ne vaut mieux pas soutenir plus efficacement les structures qui s’occupent et encadrent des jeunes qui sont relativement éloignés de l’emploi et/ou en échec scolaire. Mais aussi de prendre en compte la réalité du terrain. C’est le cas chez Ducretet et pourtant, le taux d’insertion professionnel est de plus de 90%. C’est une prouesse. Encore une fois, je ne dis pas que les parcours supérieurs ne doivent pas pouvoir bénéficier de ces formations, mais il est nécessaire de prendre en compte certaines réalités.
A ce propos, combien d’apprenants ont été formés chez Ducretet en 2022 ?
Comme c’est le cas chaque année, nous avons formé environ 900 apprenants l’an passé, à travers nos 3 CFA à Lyon, Bordeaux et Paris et nos 15 écoles partenaires réparties sur le territoire. Les candidats sont formés sur des dispositifs très variés qui font l’identité de Ducretet, à savoir l’univers des Télécommunications, les infrastructures numériques, la fibre, la maison connectée, ou encore la vente-conseil. Des secteurs qui répondent aux besoins du marché et qui permettent aux apprenants de trouver rapidement un emploi à l’issue de leur formation avec, pour certains, des niveaux de salaire très confortables dès le début de leur carrière.
Avec la loi anti-gaspillage et l’économie circulaire, les besoins de techniciens réparateurs ne cessent de croître et la filière peine à recruter malgré les efforts. Où en est la filière aujourd’hui ?
Il y a effectivement un besoin immense sur les métiers de la réparation et le nombre de 500 techniciens avancé par tous est toujours d’actualité. On pourrait même parler de plusieurs milliers de techniciens à former chaque année, tant les besoins sont importants. Mais il y a des limites au système et il faudrait que les prescripteurs relayent davantage cette information. Aujourd’hui, les jeunes ne se dirigent pas spontanément vers ces parcours de formation car ils ont, à tort, une image négative et peu valorisante, à commencer par certains professeurs dans les lycées. Pourtant, se diriger vers une voie qui apporte un savoir-faire et un emploi pérenne me semble plus pertinent que d’aller vers une voie que tout le monde emprunte, sous prétexte que ça rassure les parents ou les professeurs qui ont une très mauvaise connaissance de ces métiers.
Quelles sont alors les actions concrètes qui peuvent être mises en place chez Ducretet pour redorer l’image de l’alternance ?
J’ai demandé à nos 3 Directeurs de CFA d’écrire à tous les lycées dont sont issus nos 900 jeunes chaque année. Il est nécessaire de leur faire savoir que leur ancien lycéen est aujourd’hui chez Ducretet, qu’il suit un parcours de formation et qu’il est bien parti pour trouver un emploi et que nous sommes bien entendu à leur disposition pour présenter les parcours de formation dans les lycées. Nous devons aussi continuer à travailler notre communication pour la rendre plus attrayante et attirer de nouveaux candidats et candidates, et ouvrir la voie à un jeune public qui ne sait pas encore dans quelle voie se diriger.
L’une des forces du Réseau Ducretet a toujours été d’être à l’écoute du marché et d’anticiper les besoins. Quelles sont selon vous les grandes tendances qui se dessinent ?
Il faut effectivement anticiper les besoins et sonder l’écosystème, pour pouvoir proposer des formations qui permettront aux jeunes d’avoir un métier demain. A titre d’exemple, Ducretet a œuvré et collaboré au déploiement du réseau Très Haut Débit il y a plusieurs années et le parc étant désormais installé, il s’agit de réfléchir à des alternatives, comme des modules dédiés à la maintenance de ces infrastructures.
Depuis peu, nous proposons également un module de formation sur les bornes IRVE pour véhicules électriques, qui constituent un sujet d’avenir. Sur le thème de l’infrastructure numérique, nous sommes sur des sujets très techniques, mais rien ne nous empêche demain de proposer des parcours de formation sur l’informatique plus orientée « terrain ». Je pense par exemple à de la prise en main de box internet ou d’ordinateur chez le particulier, notamment auprès d’une population senior. Les marchés liés au maintien à domicile pour les personnes âgées seront croissants. Et c’est sans compter sur la maison connectée et toute la maintenance qui sera être nécessaire autour de ces sujets.