Il était sans doute un peu prématuré de faire un bilan au bout de 4 mois
Quatre mois après le lancement du bonus réparation, le Ministère de la Transition écologique a réuni les parties prenantes et leur a demandé d’accélérer sur la labellisation des réparateurs et le barème du bonus. Il a aussi été évoqué dans la presse un doublement du bonus réparation et la possibilité d’obliger les grands acteurs de la réparation à se faire labelliser. Nathalie Yserd, Directrice Générale d’ecosystem, nous a accordé un entretien pour faire le point sur les pistes évoquées et les actions qui seront menées dans les mois à venir.
Neomag. Le 20 avril, Christophe Béchu et Bérengère Couillard ont réuni la filière. Qui était présent ? Et quand est prévue la prochaine réunion ?
Nathalie Yserd. Il y avait notamment des représentants de fédérations (la fédération des fabricants, des distributeurs, réparateurs), la Chambre des métiers et de l’Artisanat (CMA), le Gifam, l’AFNUM, la FCD, Fedelec, puis côté consommateurs, CLCV, l’AFC (Association des Familles Chrétiennes), Hop ainsi qu’ESS France, les éco-organismes Ecologic et ecosystem. Et côté pouvoirs publics, DGPR, NTE et les deux ministres Christophe Béchu et Bérengère Couillard.
Le Ministre Christophe Béchu a donné un nouveau rendez-vous aux parties prenantes mi-juin. Il a ouvert une séquence de concertation pendant environ un mois pour que les parties prenantes puissent réfléchir à de nouvelles propositions. Le soir même, un communiqué de presse émanant du Ministère a été publié, confirmant quatre axes de travail. Indépendamment d’annonces sans doute un peu prématurées qui ont été faites par Bérengère Couillard, c’était une séquence positive et bénéfique, qui va nous permettre de réfléchir collectivement pour atteindre un objectif.
Dans les déclarations faites à certains médias, il est question de doubler le bonus réparation d’ici juillet. Est-ce acté ou encore en discussion ?
Cela fait partie des pistes qui peuvent être évoquées dans le cadre de l’accélération du bonus réparation mais ce n’est pas la seule. Sachant aussi que l’objectif du fonds réparation n’est pas de dépenser une somme d’argent. C’est avant tout de développer le volume de réparations. C’est toute une chaîne qui doit se mettre en place, le premier maillon étant la création du réseau de réparateurs labellisés QualiRépar, avec une bonne densité au sein des territoires. Tant qu’on n’a pas cela, on peut doubler, tripler les bonus, cela n’aura pas de réalité concrète pour le consommateur s’il ne trouve pas un réparateur labellisé près de chez lui.
Justement, si on doublait le bonus et qu’on accélérait sur la communication, cela ne risquerait-il pas d’être contreproductif et de créer un frein supplémentaire en allongeant les délais d’attente pour les consommateurs en demande de réparation ?
Si, tout à fait. D’ailleurs, alors que nous étions sur une bonne dynamique de lancement, depuis ces annonces, nous avons constaté un ralentissement, du côté des consommateurs comme des réparateurs. C’est dommage parce que l’intention du Ministre de réunir toutes les parties prenantes pour identifier les meilleurs leviers opérationnels pour accélérer est bonne et tout le monde partage cette ambition. Même s’il est important de ne pas se tromper sur les leviers.
Les ajustements et adaptations font partie du travail de montée en puissance d’un dispositif très ambitieux, prévu sur 6 ans. Mais il était sans doute un peu prématuré de faire un bilan au bout de 4 mois.
Le Ministère a déclaré qu’en « 4 mois, 0,5M€ de bonus ont été reversés aux Français alors que 62 millions d’euros restent disponibles cette année pour financer la réparation ». Si on double le bonus, l’enveloppe globale prévue jusqu’à 2027 ne risque-t-elle pas d’être dépassée ?
63 millions d’euros, c’est ce qui est prévu en 24 mois. Le cahier des charges prévoyait 20 millions d’euros pour 2022. Mais en 2022, nous avons commencé le 15 décembre. Cumuler 2022 et 2023 et essayer de distribuer en un an ce qui était prévu en deux est ambitieux. Ce qui est important selon moi, c’est de viser l’objectif initial, à savoir d’avoir engagé 410 millions d’euros en 2027, de conserver le même objectif avec une courbe un peu différente.
Il est vrai que si on double le bonus, les courbes seront totalement faussées. D’autant que sur cette partie fonds réparation, il faut savoir que cet argent n’est pas disponible pour l’instant, puisqu’il n’a pas été appelé. Nous n’avons pas augmenté les éco-participations. Ce n’est pas de l’argent qui dort sur les comptes bancaires des éco-organismes ; il s’agit d’argent qui est encore dans le porte-monnaie des Français. Ce qui est important, c’est de continuer à construire dans le cadre que nous a fixé le Ministre.
Quand est-il prévu d’augmenter les éco-participations ?
Cela va augmenter progressivement, car au-delà du fonds réparation, la collecte continue aussi à se développer. Les éco-participations n’ont pas augmenté depuis 2017-2018. Or, comme toute entreprise, nos coûts augmentent en raison de l’inflation (coûts de collecte, de traitement, hausses répercutées par les opérateurs…). Les éco-participations devraient commencer à évoluer dès 2024.
Pour étoffer le réseau de réparateurs QualiRépar, le Ministère a évoqué la simplification du processus de labellisation pour les petits réparateurs. Avez-vous des pistes pour y parvenir ?
Ce qui est intéressant avec cette montée en puissance progressive, c’est la possibilité d’ajuster les choses pour satisfaire une fluidité plus importante du processus de remboursement. Et à la fois nous sommes dans une logique de sécurisation pour faire en sorte que l’argent des Français soit bien fléché vers les ambitions de la loi AGEC et de l’allongement de la durée de vie des équipements.
Nous avons déjà simplifié certains éléments de preuve qui étaient demandés aux réparateurs dans le parcours de remboursement. Nous sommes aussi en train de travailler sur un alignement des processus avec Ecologic, qui prévoyait dans son parcours une validation préalable du consommateur. Nous réfléchissons également à mettre au point un processus de labellisation simplifié, plus adapté aux très petites entreprises (une ou deux personnes), tout en conservant les mêmes engagements vis-à-vis du consommateur. Quand il s’adresse à un réparateur QualiRépar, la promesse du label doit être la même. Nous sollicitons les acteurs en charge de la labellisation pour nous faire des propositions qui respectent ce double objectif.
En ce qui concerne les grandes enseignes, Bérengère Couillard a déclaré qu’elle obligerait celles qui ne jouent pas le jeu de la labellisation. En manque-t-il beaucoup ou est-ce en cours ? Et pourquoi ?
Pour créer ce réseau de réparateurs QualiRépar, nous avons besoin de tous les réparateurs, de toute la richesse et la pluralité des réparateurs, depuis les petites entreprises indépendantes jusqu’aux grandes enseignes (parmi elles, il y a Boulanger, Leclerc côté alimentaire, les réseaux longs aussi continuent à candidater). Certaines enseignes et certains fabricants ont été cités pour ne pas s’être fait labelliser. C’est leur décision. L’adhésion au dispositif dépend vraiment de la décision de chaque entreprise d’y aller, à quel moment, comment, à quelle vitesse... Le groupe Fnac-Darty par exemple a déjà une de ses entreprises qui a été labellisée, WeFix ; la manière dont ils structurent l’intégration relève d’une stratégie d’entreprise.
Nous prospectons régulièrement pour recruter de nouveaux réparateurs. Certains nous expliquent par exemple que le moment n’est pas propice parce qu’ils sont en cours de recrutement pour remplacer des collaborateurs et qu’ils ne parviennent pas à trouver des techniciens. On ne peut pas le leur reprocher. Dans de tels cas, il est logique que la priorité soit de recruter et de faire fonctionner l’entreprise.
Parmi les chantiers évoqués par le gouvernement, un point concerne la « gouvernance et représentativité des acteurs dans les différentes instances ». De quoi s’agit-il ? De regrouper les réparateurs ?
C’est plus large que cela. L’idée consiste à créer un comité fonds réparation avec les parties prenantes. C’est une manière de les associer dans le retour d’expérience et la réflexion sur le fonds réparation, un peu à l’image de ce qu’a fait le Ministre en réunissant toutes les parties prenantes. La balle est dans le camp des éco-organismes pour prendre le relais afin d’en faire quelque chose de pérenne et de continuer à travailler ensemble.
Un autre point a été évoqué, à savoir communiquer pour faire connaître le bonus aux consommateurs. Vous avez prévu une campagne en juin pour cela. Que pouvez-vous faire de plus pour accélérer la notoriété du dispositif ?
Le challenge, c’est qu’il faut à la fois avoir le pied sur l’accélérateur et sur le frein. Nous sommes en vigi permanente pour surveiller la densité du réseau de réparateurs labellisés, la couverture territoriale… C’est seulement en fonction de cela que nous pouvons ensuite renforcer le dispositif de communication pour augmenter la notoriété du bonus.
Un autre volet est important : continuer à communiquer à destination des réparateurs pour en recruter de nouveaux, convertir ceux qui sont intéressés. Tout cela se fait en même temps, c’est vraiment toute une chaîne à construire, sachant qu’on a directement développé le dispositif à l’échelle nationale. Ecologic et ecosystem ont déjà engagé collectivement plusieurs millions d’euros non visibles pour construire tout cela. On ne voit que la partie émergée de l’iceberg.
La CLCV a récemment publié un Observatoire du fonds réparation, dans lequel est évoquée une hausse significative du prix des réparations. Par exemple, « un prix moyen de réparation de 164 € pour un lave-vaisselle contre 125 € selon l’Ademe et 146 € pour un sèche-linge contre 119 € selon l’Ademe ». Est-ce représentatif de faire une telle moyenne sur seulement quelques mois ?
Ces données sont à considérer avec prudence ; la CLCV l’a d’ailleurs précisé en préambule. Car il y a des réparateurs importants qui sont labellisés mais qui ne nous ont pas encore déclaré toutes les réparations qu’ils ont effectuées et qui ont bénéficié du bonus réparation. Donc on n’a pas encore une bonne représentativité statistique, même sur ce qui a déjà été fait. De plus, les montants qui avaient été indiqués par l’Ademe étaient basés sur du déclaratif. Ce qui signifie qu’on est seulement en train d’atteindre une véritable robustesse statistique : on dispose de la facture, on commence à avoir des volumes significatifs de réparations sur certains appareils comme les lave-linge ou les lave-vaisselle (de l’ordre de 5000 factures). Il faut aussi regarder par types d’interventions, car il y a des amplitudes de prix très importantes. De plus, depuis l’étude de l’Ademe, il y a eu l’inflation, la hausse des prix du carburant, de l’énergie…
En ce sens, le déploiement du bonus réparation va nous permettre un suivi avec une bonne robustesse statistique dont on a cruellement manqué pour dimensionner le dispositif – c’est tout l’objectif de cet Observatoire. Compte tenu de toutes ces incertitudes, 4 mois, ça n’est pas encore suffisant pour tirer des conclusions.
Ce qu’il faut retenir c’est qu’on entre dans une phase d’ajustement. Il y en aura sans doute plusieurs pendant ces six années. La trajectoire est là, le cap est là et on est mobilisés pour chercher à mieux faire et trouver les bons leviers à activer pour y parvenir. De ce point de vue, je pense que la réunion prévue mi-juin va être très intéressante.