Droit à la durabilité : retour sur le colloque organisé par HOP à l’Assemblée Nationale
Droit à la durabilité : retour sur le colloque organisé par HOP à l’Assemblée Nationale
le 22 février 2024
, par Alexandra Bellamyhttps://www.linkedin.com/company/neomag/
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L’association HOP, Halte à l’Obsolescence Programmée, vient d'organiser un colloque à l’Assemblée Nationale sur le thème « Les innovations du droit à la durabilité ». Mesure de l'impact du bonus réparation sur le terrain, perspectives de ce bonus en France et en Europe, questions du coût de la réparation, coût de l’éco-conception, interopérabilité des pièces détachées, mais également évolution de l’indice de réparabilité en indice de durabilité et son extension à l’échelle européenne : débats et tables rondes ont été menés tambour battant dans un hémicycle bourré à craquer. La rédaction de Neomag était présente et vous en propose un condensé.
Ce colloque, qui s’est tenu le 9 février dans la salle Colbert de l’Assemblée Nationale, coïncide peu ou prou avec le dixième anniversaire de HOP. L'événement s’est déroulé en présence de 240 personnes : chercheurs, décideurs politiques, associations, industriels, syndicats, distributeurs, éco-organismes, réparateurs, journalistes, citoyens engagés...
Une belle consécration que d’organiser un événement dans un tel lieu, regroupant autant de personnes d’horizons aussi divers (l’événement affichait complet alors que l’association recevait encore des demandes d’inscriptions). HOP peut également se réjouir d’avoir réussi à réunir et faire débattre des intervenants aux avis parfois divergents. Car comme l’a si bien dit Laetitia Vasseur, Cofondatrice et Déléguée Générale de HOP, dans son discours d’introduction, « la bonne méthode, c’est souvent la méthode de l’intelligence collective, qui nous fera atteindre l’objectif de l’impact pour l’intérêt général, pour l’environnement, pour les consommateurs et pour l’économie circulaire ».
Impossible de résumer près de 4 heures de débats passionnants en un article. Mais nous allons mettre en exergue les lignes directrices, à aborder comme autant de pistes de réflexion.
Laetitia Vasseur, Cofondatrice et Déléguée Générale de HOP et Quentin Ghesquière, Président de HOP, ont introduit le colloque.
Rapport inédit sur le bonus réparation : mesure de son impact sur le terrain
HOP a profité de ce colloque pour détailler les résultats de son rapport (publié le 31 janvier) intitulé « Bonus réparation : retour d’expérience de consommateurs et réparateurs sur le fonds réparation des équipements électriques et électroniques ». Le but était de mesurer de manière « indépendante et scientifique » les impacts de ce dispositif sur les consommateurs et les professionnels de la réparation.
Pour élaborer ce rapport, HOP s’est entouré de chercheurs. Etaient présents lors de l’événement pour en expliquer les résultats, Rémi Beulque, Chercheur et professeur aux Mines et à l'ISC Paris et Helen Micheaux, Maître de conférences en sciences de gestion, AgroParisTech - Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement.
L’étude se base sur des questionnaires diffusés dans le courant de l’été 2023, auxquels 507 consommateurs ont répondu (parmi lesquels 87% se disent sensibles à l’urgence climatique et 59% ont déjà fait réparer un objet). Du côté des réparateurs, 174 professionnels ont répondu à ce questionnaire (dont 73% ne sont pas labellisés). L’étude révèle que le bonus réparation a des impacts indéniables. Plus de 88% des répondants qui n’avaient pas connaissance du dispositif avant de participer à l’enquête affirment qu’en cas de panne, cela les encouragera à se renseigner sur la possibilité de réparer. Néanmoins, au bout d’un an, près de 9 réparations sur 10 n’avaient pas bénéficié de cette aide. Le dispositif est d’ailleurs peu connu des consommateurs - seulement la moitié en avaient connaissance, et principalement via un média ou une association mais peu via un réparateur, un fabricant ou un distributeur. Autre enseignement de l’enquête : il est nécessaire d’améliorer l’accès aux réparateurs labellisés, d’autant que la proximité est un point clé pour 84% des répondants. Les chercheurs rappellent toutefois que le réseau est encore en cours de déploiement. Enfin, au moment de l’étude, trois quarts des consommateurs estimaient que le montant du bonus était insuffisant, notamment sur le GEM, l’informatique, la téléphonie et le PEM (des annonces ont été faites depuis, pour un ajustement du bonus en début d’année).
Du côté des réparateurs, il apparaît nécessaire de faciliter la labellisation, en particulier pour les petits réparateurs (là encore des annonces ont été faites). 8 répondants sur 10 ne souhaitaient pas se faire labelliser au moment de l’enquête, avec une forte représentation des indépendants (1 à 2 salariés). Les principales raisons évoquées sont le coût de la labellisation, la complexité du processus et la crainte d’une durée de remboursement trop importante par les éco-organismes. Les chercheurs concluent que certaines recommandations ont été prises en compte par les pouvoirs publics. Toutefois, on dispose encore de peu de données sur la réparation et ils estiment nécessaire d’en collecter pour améliorer ce dispositif et ses impacts. L’étude complète est disponible en ligne.
Députée du Lot et membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Huguette Tiegna a rendu possible l'organisation de ce colloque à l’Assemblée Nationale. Elle a notamment rappellé que « l’allongement de la durée de vie des produits, électriques ou non, doit faire partie de notre feuille de route à tous ».
« Bilan et perspectives du bonus réparation »
La première table ronde, animée par Cristina Ganapini, coordinatrice de la campagne européenne Right to Repair, portait sur ce thème. En préambule, celle-ci indiquait que la France est précurseur et que de nombreux pays européens s’intéressent de près à l’indice de réparabilité et au bonus réparation. Il est d’ailleurs souhaitable que ces dispositifs s’étendent à d’autres pays d’Europe car « toutes ces mesures ont un coût » qui au final pèse sur les consommateurs à travers le prix des produits, ce qui « crée des asymétries » explique Bertrand Reygner, Directeur général adjoint d’Ecologic.
La première table ronde, animée par Cristina Ganapini, a réuni Jérôme Denis, Directeur du Centre de sociologie de l'innovation - Professeur de sociologie à Mines ParisTech ; Véronique Riotton, Députée de Haute-Savoie, rapporteure de la loi AGEC ; Bertrand Reygner, Directeur général adjoint d’Ecologic ; Ibtissam Mozher, Responsable de l’observatoire du fonds réparation de la CLCV ; Baptiste Perrissin Fabert, Directeur général délégué de l'Ademe et Guillaume Balas, Délégué général de la fédération ENVIE.
La question du coût de la réparation a également été abordée. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut surveiller l’évolution des prix. Mais un peu plus d’un an après le lancement du dispositif, il semble prématuré de faire une corrélation entre augmentation des prix et mise en place du bonus, surtout en période d’inflation. S’est aussi posée la question du modèle économique et de la rentabilité de l’activité de réparation. Une étude sur cette question serait la bienvenue. Surtout dans un contexte où l’un des enjeux est de rendre ce métier attractif, pour recruter des jeunes afin de les former à ces activités. « Le fait de réduire le prix de la réparation (NDLR : via le bonus) est un outil. La finalité c’est que le métier se développe, que les produits soient réparés et durent plus longtemps » rappelle Bertrand Reygner. Lors de cette table ronde, nous avons en outre appris que le Conseil National de la Réparation, dont l’un des objectifs est d’améliorer le dispositif, se réunira le 20 mars, pour la seconde fois seulement.
« L’éco-conception : clé pour l’essor de l’économie circulaire »
Le Club de la Durabilité, impulsé par HOP, a élaboré un guide pratique « Eco-concevoir des produits durables et réparables ». Il apparaît que le premier frein à l’éco-conception est lié à l’approvisionnement. En cherchant à assembler plus vite pour gagner du temps et réduire les coûts lors de l’étape de production, les industriels rendent les produits moins réparables.
Marion Clément, Directrice marketing et relations clients chez SDS (entreprise spécialiste de la pièce détachée électroménager), membre du Club de la Durabilité, et Florent Curel, Responsable du Club de la Durabilité, ont présenté les principaux enseignements de ce travail collectif.
Marion Clément cite comme exemple la création de sous-ensembles, qui évite d’assembler des composants. Si cette pratique fréquente assure un gain de temps lors de la production, cela rend parfois difficiles voire impossibles les étapes de démontage et réparation. Cela fait augmenter le prix de la réparation, qui au final ne se fait pas forcément. Le coût de l’éco-conception constitue un second frein. Ce choix suppose de lourds investissements en R&D. Concevoir des produits fiables nécessite aussi des tests en laboratoire sur des points comme la résistance à l’usure. Quant à la réparabilité, elle peut aussi avoir un coût. « Les pièces détachées font partie de l’équation » assène Marion Clément. Les stocks constitués sont plus ou moins importants mais il est parfois difficile d’anticiper le volume nécessaire pour accompagner un appareil pendant tout son cycle de vie. Cela nécessite beaucoup de datas, puis du stockage, et enfin une expédition rapide faute de quoi la réparation est compromise. Elle avance l’idée selon laquelle on pourrait imaginer l’interopérabilité des pièces détachées, ce qui est par exemple déjà le cas sur certaines cartes électroniques. Mais « on pourrait pousser la démarche encore plus loin. Ce qui compte dans une carte, c’est le système d’information qu’on met dedans. On pourrait très bien imaginer avoir des cartes uniques dans lesquelles on mettrait différents services » développe-t-elle. Florent Curel évoque également l’aspect marketing, annonçant un groupe de travail du Club de la Durabilité (sur le thème marketing et post achat). « Les entreprises doivent réinventer leur manière de faire. Dès la conception, on peut penser l’utilisateur comme un usager et non comme un simple consommateur ». Il conclut en indiquant que les normes d’éco-conception à l’échelle européenne sont en train d’être revues. Or, il est essentiel que des critères de disponibilité des pièces et de démontabilité soient pris en compte.
La seconde table ronde, animée par Laetitia Vasseur, a réuni Davide Polverini, Policy officer à la Commission Européenne ; Clara Grojean, responsable environnement et RSE à l'AFNUM ; Pierre Lemaire, Domain Leader économie circulaire en charge de la réparation chez Adeo ; Agnes Crepet, Head of software longevity & IT chez Fairphone ; Thomas Opsomer, expert en politique de réparabilité chez iFixit et Stéphane Hocquet, sous-directeur adjoint des entreprises au Commissariat général au Développement Durable, Ministère de la Transition écologique.
« De l’indice de réparabilité à l’indice de durabilité » : des désaccords entre la France et l’Europe
La seconde table ronde portait sur l’évolution de l’indice de réparabilité en indice de durabilité et son extension à l’échelle européenne. Les effets de l’indice de réparabilité sur les comportements d’achat sont avérés, le choix des consommateurs se portant clairement sur des produits plus réparables. Une réelle évolution est constatée également du côté des industriels : les notes des produits progressent, parfois même celles d’appareils déjà commercialisés. En ce qui concerne l’affichage de l’indice, la DGCCRF a mené une vaste étude de contrôle (portant à la fois sur l’affichage et la véracité de la note). Beaucoup d’anomalies ont été constatées (plus de 60%) mais à relativiser, car dans la plupart des cas, elles relèvent de la non disponibilité des grilles de paramètres – « seulement » 30% de ces anomalies concernent un réel non affichage. Ces constats ont été suivis d’injonctions et dans quelques cas, de sanctions.
L’indice de réparabilité français va évoluer vers un indice de durabilité (la France a travaillé sur les indices de durabilité des lave-linge, des téléviseurs et des smartphones) ; il sera complété par des critères supplémentaires principalement liés à la fiabilité. Il est également prévu que l’indice s’étende à l’échelle européenne, un indice de durabilité des smartphones et tablettes européen étant prévu pour juin 2025. C’est un sujet de satisfaction mais aussi d’inquiétude. En France, certaines des parties prenantes craignent un appauvrissement des informations fournies au consommateur dans l’indice européen, celui-ci étant qualifié de « moins ambitieux ». Lors de son discours d’introduction, Huguette Tiegna a évoqué cette question sans détour : « nous serons particulièrement attentifs à ce que l’indice mis en place par la Commission Européenne à horizon 2025 respecte bien les critères identifiés par le droit français, qui fait office de précurseur en la matière. Nous refusons le nivellement par le bas de cet indice qui constitue un outil très utile pour les consommateurs ». Certaines des parties prenantes ont également déploré que l’accès aux groupes de travail européens soit restreint et que les industriels y soient surreprésentés.
L'étiquette énergie européenne des smartphones sera visible en juin 2025. C'est elle qui portera les informations relatives à la réparabilité et à la durabilité.
L’indice de durabilité français des smartphones ne verra pas le jour
Si l’indice européen et l’indice français partagent un objectif commun, les méthodes divergent. Selon Davide Polverini, qui travaille à la Commission Européenne, « la différence porte sur le choix technique du paramètre qu’on utilise pour caractériser cette durabilité ». La Commission Européenne a fait le choix de grouper tous les critères sur un affichage qui s’apparente à l’étiquette énergie. Ils sont au nombre de quatre : résistance aux chutes libres, classe de réparabilité, endurance de la batterie et indice de protection contre l’eau et la poussière. Ces critères sont accompagnés d’une classe sous forme de lettre, comme pour l’énergie – pas de note pour l’indice européen, donc. Pas d’agrégation des informations liées à la durabilité non plus, au grand regret de HOP. Cet étiquetage donnera accès à des informations téléchargeables, notamment le prix indicatif des pièces détachées. Et c’est là que le bât blesse. Alors que le prix des pièces détachées entre dans le calcul de l’indice de réparabilité français, ce critère n’est pas pris en compte dans l’élaboration de l’indice européen. La raison évoquée : la Commission Européenne estime que prendre en compte ces prix est faisable à l’échelle « locale » mais trop complexe à l’échelle européenne. Depuis le colloque, une nouvelle annonce est tombée : il n’y aura pas d’indice de durabilité du smartphone « à la française ». L’indice européen, qui sera donc affiché sur une étiquette énergie globale, prévaudra et les deux affichages ne peuvent cohabiter. « Même si cette harmonisation pour tous les États membres est souhaitable pour informer plus de 450 millions d’habitants sur la durabilité des produits, elle ne doit pas se faire au prix d’une méthode laxiste » regrette HOP.